Après presque deux ans d’une existence tumultueuse qui donnera tout son sens – peut être un peu trop – à son nom, la bibliothèque anarchiste La Discordia, pour d’autres raisons, a décidée de se dissoudre dans des projets qui lui semblent plus intéressants, et plus à même de répondre aux enjeux d’une époque troublée qui n’a rien de formidable. D’une part, la mise en avant et l’organisation selon les principes d’un courant circonscrit de l’aire révolutionnaire, dans une non-mixité théorique qui ne peut mener, à terme, qu’à la construction de groupes homogènes, imperméables, perdant tout l’intérêt et la richesse que pouvait apporter l’addition des individus qui la composaient originellement (ceux-ci se modelant les uns sur les autres jusqu’à devenir semblables), une homogénéité capable de transformer toute pensée, même l’anarchisme, en idéologie à laquelle il faudrait s’adapter comme des automates plutôt que de l’adapter à nos besoins, et toute individualité anarchiste en petit soldat ou en vilain canard. Une cause prétendument « commune » qui serait supérieure à nous-mêmes, à laquelle il faudrait se conformer, et que nous ne voulons plus reproduire et perpétuer. La Discordia meurt de l’observation empirique de l’impasse théorique et pratique des groupuscules politiques qui se croient suffisants et se satisfont d’eux-mêmes, et des rapports de force qui finissent nécessairement par régir l’ensemble des relations en son sein, où des amitiés se transforment en rivalités, où les égos frustrés pensent pouvoir se venger des gens heureux, dans une mascarade illusoire qui finit par prendre la place de la lutte contre l’autorité.
Les suites des attentats religieux qui ont secoués la ville de Paris, bien qu’ayant charrié au sein de la mouvance leur lot de paniques idéologiques diverses, conscientes ou inconscientes, et les diverses attaques matérielles que nous avons subies, qu’elles soient issues des milieux identitaires et réactionnaires ou des larbins de l’Etat et des ministères ne jouent aucun rôle dans cette auto-dissolution, elles n’ont fait que renforcer la nécessité de tenir le cap malgré l’accroissement, chez plusieurs d’entre-nous (les derniers restants, le collectif ayant fortement changé à deux reprises), de doutes et de contradictions insolvables quand à la forme d’organisation dite « affinitaire » (qui a pu avoir son sens à une époque où ce mot fut compris), en tout cas groupusculaire. Nous avons goûté à cela, nous avons même probablement contribué à renforcer des logiques sectaires qui ne faisaient que s’ajouter aux rapports de domination du quotidien, alors que nous souhaitions être tellement plus qu’un autre outil de notre propre misère pratique et organisationnelle. Si la beauté des gestes n’est plus suffisante, si l’illusoire confort des certitudes morales se fissure, si la psycho-rigidité idéologique et militante ne laisse plus place à l’intelligence et la créativité, si la gestion des rapports humains devient celle d’une famille, alors il faut s’arrêter. Il faut essayer autre chose. Apprendre de son expérience et repartir au combat dans de nouveaux élans.
Reste que de nombreuses rencontres et pistes positives ont été explorées ici et là, parfois de façon inédite, elles se poursuivront. Malgré les tentatives d’empêchement permanent guidés par des instincts de conservation et des illusions de préservation idéologique, se transformant parfois en harcèlement, il se trouve que par percées d’hétérogénéité, une circulation de l’intelligence a parfois pu prendre place pour donner des armes à nos refus, à la négation de l’existant, nous donnant plus de carburant pour la suite. Et suite il y a, cette fois, en dehors des sentiers battus et rebattus de l’idéologie groupusculaire et des identités politiques, c’est du moins la tentative qui s’amorce et va s’expérimenter dans un enthousiasme qu’on aurait pu croire perdu, et qui nous donne les forces de construire ce pont au-dessus du précipice contemporain. Ainsi nous sommes heureux d’annoncer que les individus qui composent ce projet dans sa dernière « génération » ont décidé de dissoudre La Discordia pour laisser place à un projet plus large, plus ouvert, sans effusions de rigidité groupusculaire et d’opacités assiégées, et qui selon nos analyses, est plus à même de répondre à l’époque. Une époque qui nécessite bien plus pour nous de rencontrer de nouveaux compagnons et camarades avec qui élaborer des perspectives plus ambitieuses, plutôt que de renforcer des groupes et s’enfermer dans les derniers restes de mouvance qui se meurent et pourrissent sur pied face au rouleau compresseur post-moderne. Les Fleurs Arctiques est une hypothèse et une aventure qui nous semble, aujourd’hui, plus intéressante et plus excitante que la notre, dans le contexte d’un anarchisme plus mourant que jamais dans la capitale et en France, isolé et dispersé sans aucun réseau, ou pourrissant au sein de micro-partis « informels » (dont feu le notre) en l’absence de troubles sociaux dans lesquels intervenir. La préservation a assez duré. Ainsi, nos locaux sont désormais ceux des Fleurs Arctiques, et notre collectif se dissout en elles.
Pour la révolution. Pour l’anarchie. Pour la liberté.
Avril 2017,
La dernière Discordia.
Infos pratiques :
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Les livres empruntés à La Discordia peuvent être rendu aux Fleurs Arctiques.
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Les adresses inscrites à la mailing-list de La Discordia seront transférées sur celle des Fleurs Arctiques (sauf mention contraire de votre part)
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Il en va de même pour les souscriptions financières.
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Les dernières permanences auront lieu tous les mercredi jusqu’à celle du 19 avril (incluse).
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